Tenir compte des personnes autistes en design
avec Véronique Sermage
Bonjour tout le monde,
J’espère que vous avez passé un bel été. Je suis passée sur Substack car j’avais envie que cette newsletter puisse aussi se lire en dehors de vos boîtes mail. Avant de parler du sujet du point, faisons un petit point évènementiel :
J’anime mon atelier “Accessibilité, jouez la bonne carte” aux ateliers de Paris Web à Nantes le 6 septembre. Inscriptions ici.
Je serai aussi à Paris Web les 25 et 26 septembre pour donner mon nouveau talk “Design validiste : comment rompre les normes systémiques”.
Et maintenant, place au sujet du mois. On parle beaucoup de diversité dans les équipes tech, mais ça veut dire quoi pour les personnes neuroatypiques ? Cette question m’a amenée à Véronique Sermage, développeuse avec un Trouble du Spectre Autistique (TSA).
Vous pouvez lire le transcript de l’interview sur mon blog dont j’ai tiré 5 conseils de design pour tenir compte des personnes autistes.
Bonne lecture,
Tamara
5 conseils de design pour mieux inclure les personnes autistes
Note : ces recommandations ne sont que des bonnes pratiques et méritent d’être testées avec vos utilisateurs.
Ne vous servez pas que de la couleur pour transmettre l’information
Ce conseil concerne plutôt les personnes daltoniennes ou celles qui utilisent un lecteur d'écran. Mais il est aussi utile pour les personnes autistes.
Les couleurs ont un sens. Mais s’il n’est pas clair, ça peut créer de la surcharge cognitive. On passe du temps à essayer de comprendre ce que la couleur veut dire, au lieu de se concentrer sur l’information transmise.
Ce qu’en dit Véronique
J'avoue que les couleurs, ça ne me parle pas des masses. Si y’a des couleurs, moi je me dis qu’il y a une info. Sauf que la plupart du temps, pas du tout. Donc je me dis, mais pourquoi ils ont mis ça dans telle couleur ? Et je passe du temps à essayer de comprendre pourquoi ils ont mis cet élément dans telle couleur et tel autre dans telle couleur.
Exemple en design
Dans un dashboard, les statuts des tâches sont signalés uniquement par des couleurs : vert, orange et rouge. Sans libellé ou légende, il faut deviner ce que chaque couleur signifie. Est-ce que rouge veut dire “annulé”, “bloqué” ou encore autre chose ? On ne peut pas le savoir sans légende.
Recommandation
Affichez le statut en toutes lettres — quitte à laisser l’utilisateur choisir de l’afficher ou non. Ça évite les mauvaises interprétations, que ce soit à cause d’un handicap cognitif ou visuel.
Ne comptez pas sur les emojis pour tout dire
Les emojis peuvent être mal interprétés – on l’a vu dans la mini-série Adolescence, où chaque génération en fait sa propre lecture. C’est aussi vrai pour certaines personnes autistes, qui peuvent y associer un autre sens. Un emoji seul ne suffit pas à transmettre une information.
Ce qu’en dit Véronique
Les gens qui ne communiquent que par emoji… en fait je comprends pas un traître mot de ce que vous êtes en train d'essayer de me dire ! Donc tu vois, ce sont des choses que je vais enlever systématiquement. Je vais simplifier les choses, ça va me permettre de mieux comprendre. Et puis le langage écrit c’est un langage commun à tous. Si je mets un petit bonhomme qui pleure et que y’en a qui pensent qu'il rigole, qu’il est énervé ou je ne sais quoi… ça va pas. Donc j’écris un mot qui dit tristesse et comme ça c’est ok pour tout le monde.
Exemple en design
Sur une plateforme de formation, la fiche d’un module affiche un emoji 🔥 dans un coin. Un lecteur d’écran ne lira que “feu”, sans plus d’explication. Les utilisateurs peuvent se demander si c’est un cours populaire, une nouveauté ou un module urgent à suivre. Sans légende, le sens est flou pour plein d’utilisateurs.
Recommandation
Ajoutez un mot clair à côté de l’emoji pour expliquer ce qu’il signifie, par exemple “parmi les plus populaires”. Pensez aussi à masquer l’emoji aux lecteurs d’écran avec aria-hidden="true" pour ne pas gêner la compréhension. Sinon, ce sera restitué “parmi les plus populaires feu” aux lecteurs d’écran — ce qui n’a aucun sens.

Expliquez les choix que vous proposez
Les personnes avec un TSA peuvent parfois sur-analyser les choix proposés. Ce qui pourrait sembler anodin pour une personne neurotypique devient alors un vrai casse-tête pour une personne neurodivergente parce qu’il faut anticiper les conséquences de chaque choix.
Ce qu’en dit Véronique
Sur les sites, quand on me demande comment je veux les contacter, ben je ne sais pas ! C’est quoi le plus efficace ? Quel est le moment où tu vas me répondre ? Si tu me dis “être rappelé”... ok, mais sous combien de temps ? Est-ce que je vais pouvoir aller au bout et dans quelles conditions ? C'est bien de donner du choix, mais c'est mieux de savoir pourquoi on a le choix. Je pense que pour beaucoup de TSA, on va analyser en permanence tout ce qu’il se passe. Donc quand tu nous laisses un choix, il va falloir qu'on analyse le choix et qu’on prenne une décision. Les neuroatypiques vont finir par comprendre, mais c'est une charge mentale pour nous. Donc si les infos ne sont pas claires, c’est un enfer.
Exemple en design
Sur une page de contact, trois options sont proposées : “être rappelé”, “chat” et “envoyer un e-mail”. Les personnes doivent deviner ce qui est le plus rapide ou le plus adapté en fonction de leurs besoins. Pour une personne autiste, cette analyse poussée peut générer du stress.
Recommandation
Ajoutez une phrase claire sous chaque option pour expliquer ce qu’elle permet. Quel délai ? Quelle disponibilité ? Quelle différence entre les options ? Ces précisions aident tout le monde, mais surtout les personnes qui ont besoin de plus de repères pour faire un choix.

Facilitez le passage à l’action
On vit dans un monde complexe où chaque action demande de s’adapter, d’anticiper, de planifier. Pour certaines personnes neurodivergentes, ce n’est pas le choix qui pose problème, mais le fait d’initier l’action. Même quand la marche à suivre est claire, devoir s’y mettre peut devenir un obstacle en soi.
Ce qu’en dit Véronique
J'aime pas discuter au téléphone. Mais quand j'ai juste à cliquer sur “être appelé” ça m'enlève tellement de charge avant… Chez les neuroatypiques, il y a les déficits de la fonction exécutive qui arrivent à ce moment-là. Ça fait partie des choses que les autistes ont en commun avec les TDAH (Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité). Passer un coup de fil, c'est un enfer. Est ce qu'il faut prendre la décision de le faire ? Ça peut me prendre 3 à 4h pour me dire “Ok, c'est bon”. Donc en fait c'est tout un enchaînement de trucs qui fait que je ne passerai pas le coup de fil dans les 24h qui suivent. Il va me falloir du temps.
Exemple en design
Sur un site pour déclarer ses impôts, un message discret apparaît en haut de page : “N’oubliez pas de faire votre déclaration d’impôts avant la date limite.” Il n’y a pas de date visible, pas de bouton, ni de possibilité de créer un rappel. C’est à l’utilisateur de se souvenir de la deadline, de revenir au bon moment, et de s’en occuper sans aide. Pour certaines personnes neuroatypiques, cette charge de planification suffit à bloquer complètement l’action.
Recommandation
Précisez tout de suite la date limite et un bouton d’action pour faire la déclaration. Vous pouvez aussi proposer un rappel 3 jours avant l’échéance. Un petit coup de pouce pour réduire la charge mentale de l’utilisateur et lever un blocage.

Evitez le second degré ou les sous-entendus
Le langage indirect peut être difficile à comprendre pour certaines personnes, notamment les personnes autistes. Une blague, une expression imagée ou une remarque ironique peuvent créer de la confusion, de l’anxiété ou un sentiment d’exclusion. Mieux vaut rester clair et direct, surtout dans les moments clés de l’expérience utilisateur.
Ce qu’en dit Véronique
Le 2nd degré c’est ingérable pour moi. J’ai un collègue avec qui je n’arrivais pas à communiquer au début, parce qu’il ne fonctionne qu’avec le 2nd degré, tout le temps. Je crois qu'il avait dit un truc du du style, “mais tu te rends compte de ce que tu viens de dire à tel collègue ? Il est mortifié, il est désespéré ! Tu te rends compte, tu l'as abattu là !”. Et moi j’ai fait une attaque de panique à cause de ça. Depuis cette fois-là, il a fait quelque chose que j'ai trouvé fantastique. Il m'a dit “Véronique, je vais faire une pancarte 2nd degré”. Il n'a pas fait une vraie pancarte 2nd degré. Mais à chaque fois qu’il fait du 2nd degré, il fait un geste comme pour dire “j’ai ma pancarte”. Ça me permet de savoir.
Exemple en design
Dans un message de fin de parcours, on pourrait vouloir dédramatiser la situation avec humour. Mais il y a un temps pour tout. Quand ça ne fonctionne pas comme prévu, mieux vaut être clair. Le ton doit s’adapter au contexte. À ne pas confondre avec la voix de votre marque, qui reste constante mais n’a pas besoin d’être appuyée à chaque instant.

Recommandation
Utilisez un langage direct et neutre. Fournissez une information claire, sans surcharger la personne de doubles sens ou de signaux contradictoires.
Vous avez testé une de ces idées ?
Racontez-moi comment ça s’est passé ! Je suis curieuse de voir comment vous l’avez adaptée à votre contexte.
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