Bonjour tout le monde ! Avant de passer au sujet du mois, quelques actus :
Le replay de mon talk Accessibilité & inclusion, au-delà de la conformité est en ligne. C’était en janvier dernier dans l’antenne rennaise de Designers Éthiques.
J’étais aux UX Days pour animer mon atelier Accessibilité, jouez la bonne carte. Si vous n’avez pas pu venir, vous pouvez télécharger le jeu de cartes gratuitement sur mon site et animer votre propre atelier.
Le 10 juin à Paris, je participe à une table ronde organisée par leboncoin, aux côtés d’Emmanuelle Aboaf pour parler des discriminations au travail. L’évènement est accessible et les fonds iront à une asso qui soutient les personnes trans.
J’anime de nouveau mon atelier Accessibilité, jouez la bonne carte à Flupa Tours le 12 juin – inscription ici.
Et le 25 juin, je serai à A11y Paris pour assister aux talks – notamment celui d’Anne-Sophie Tranchet sur l’accessibility ops.
Ce mois-ci, pas d’interview d’une experte de la tech, mais une conversation forte avec Charlotte Puiseux – psychologue, docteure en philosophie, militante des Dévalideuses et autrice du livre De chair et de fer.
Dans notre échange, Charlotte m’a parlé de validisme, des réseaux sociaux, de capitalisme, et du sentiment d’insécurité que provoque le numérique quand il est pensé sans les personnes handicapées.
Cette discussion m’a fait réfléchir autrement à nos pratiques en design et en accessibilité.
J’en ai tiré une série de questions à vous poser – et que vous pouvez poser à vos collègues – pour penser l’accessibilité au-delà des standards. Parce qu’on peut respecter le RGAA à la lettre, mais si on ignore les logiques d’exclusion plus profondes, on passe à côté de l’essentiel.
Vous pouvez lire l’interview complète de Charlotte sur mon blog.
Bonne lecture,
Tamara.
Et si le problème n’était pas que technique ?
Être absent ne veut pas dire “pas concerné”
Si les personnes handicapées n’utilisent pas nos services, est-ce qu’on peut en conclure qu’elles n’en ont pas besoin ? Ou est-ce qu’on a juste échoué à les rendre accessibles ?
Ce qu’on peut faire
Intégrer des personnes jamais incluses jusque-là dans les tests – avec une vraie compensation.
Toujours se demander : “Qui est laissé de côté ici, et pourquoi ?”
Ce qu’en dit Charlotte
Sur cette question d’accessibilité, on tourne en rond depuis des décennies parce que la France reste persuadée que les personnes handicapées doivent aller dans des institutions spécialisées. Donc ça sert d'excuse pour ne pas investir dans la mise en accessibilité des lieux publics communs, puisque les personnes handicapées n’y vont pas.
Tenir compte de l’intersectionnalité
On ne vit pas qu’une seule discrimination à la fois. Nos personas prennent-ils en compte les vécus croisés ? Est-ce qu’on écoute assez de voix différentes dans nos recherches ?
Ce qu’on peut faire
Compléter nos personas avec des facteurs sociaux : précarité, isolement, discriminations croisées en pensant à toutes les vulnérabilités.
Se renseigner sur la roue des privilèges et les 26 critères de discrimination.
Croiser nos données quanti avec des témoignages de personnes concernées.
Ce qu’en dit Charlotte
Le racisme crée du handicap. Admettons, la personne n’est pas forcément en situation de handicap, mais elle va être confrontée au racisme. Donc elle peut se retrouver en situation de handicap par la suite. Parce que peut-être, elle travaille dans de mauvaises conditions, de façon précaire ou dangereuse, ce qui va lui amener des problèmes de santé. Et par exemple, elle sera moins prise au sérieux par les médecins.
Interroger la valeur qu’on donne à la performance
Notre design récompense-t-il la rapidité, la productivité, l’efficacité à tout prix ? Ou permet-il à tout le monde d’avancer à son rythme, sans jugement ?
Ce qu’on peut faire
Ne pas associer accessibilité et lenteur ou baisse de performance.
Concevoir des interfaces qui laissent le temps de réfléchir, revenir en arrière, relire.
Prendre notre temps pour réfléchir à nos conceptions, éviter les erreurs et finalement améliorer notre service.
Ce qu’en dit Charlotte
Le capitalisme c'est l'idée que les corps les moins productifs sont les moins valables. Ceux qui n'arrivent pas à produire le plus vite, ou le plus en termes de quantité. Une personne doit rapporter de l’argent, elle doit générer du profit. C'est vraiment des valeurs intériorisées qu’on a, y compris en tant que personne handicapée. On a aussi tendance à se dévaloriser. Parce qu'on a intériorisé qu'on serait moins capables, moins productifs, moins bien. On pense qu’une entreprise ne va pas nous embaucher à cause de ça.
Ne pas imposer l’adaptation
Et si on arrêtait de penser que c’est aux personnes handicapées de faire des efforts pour s’intégrer ?
Ce qu’on peut faire
Laisser l’utilisateur choisir ses préférences sans qu’il ait besoin de demander ou se justifier.
Se concentrer sur les situations d’usage, pas sur un état de santé – qui reste une donnée sensible.
Ce qu’en dit Charlotte
On entend parfois que c’est aux personnes handicapées de s’adapter, faire des efforts et minimiser leurs difficultés. Il faut plutôt réfléchir à comment nous accueillir sans qu’on ait à se torturer pour paraître moins handicapées. Parce que cet effort, beaucoup de personnes l’ont intériorisé. Il y a cette idée qu’il ne faut pas faire de vagues, qu’il faut être le plus discrètes possible, parler le moins possible de notre handicap. Et c’est souvent très dur de sortir de cette façon de penser, de cette honte. On a honte de qui on est, de ce qu’on est, alors que c’est à la société de nous accueillir telles qu’on est.
Concevoir à partir des besoins invisibilisés
Quand on part des besoins les plus ignorés, on peut créer pour tout le monde. Quels ajustements simples peuvent bénéficier à un public bien plus large qu’on ne le pense ?
Ce qu’on peut faire
Partir des besoins des personnes les plus éloignées du numérique, dès le début du projet.
Documenter les ajustements utiles pour tout le monde : contraste renforcé, bouton retour visible, résumé des étapes…
Arrêter de dire “ce cas est trop marginal” : ce sont souvent ces besoins qui font progresser l’accessibilité.
S’intéresser aux principes de design universel.
Ce qu’en dit Charlotte
Moi je dis toujours que les personnes valides aussi ont des besoins. Mais ces besoins ont été normalisés, la société y répond et donc ces besoins disparaissent dans l’organisation sociale. Ils n’ont même pas l’air d’être des besoins. Et à l’inverse, il y a des personnes qui ont des besoins dits spécifiques, parce qu’elles sont différentes de ce qui a été enregistré comme norme sociale. Ça crée une différenciation entre les gens alors que tout le monde a des besoins. Simplement, pour les valides, ces besoins sont invisibilisés puisque c’est la norme.
À découvrir
De chair et de fer : Les activités qui font de nous des êtres sociaux sont très difficilement accessibles aux personnes handicapées. Plus que les corps et les esprits, ce sont les structures sociales qui entravent leurs vies. Dans cet essai autobiographique, Charlotte Puiseux retrace cette histoire de violences et de discriminations dont elle a hérité et décrypte le système idéologique qui les soutient : le validisme.
En finir avec les idées fausses sur le handicap : Un ouvrage clé, précis et facile d'accès qui permet de définir les contours d'une société non-validiste, sous la direction de Clara Mautalent.
Et si votre validisme vous empêchait d’être heureux ? : Un épisode du podcast Encore heureux avec Mathilde François, dessinatrice et militante anti-validiste. (Transcript disponible).
En savoir plus
N’hésitez pas à me poser vos questions sur LinkedIn ou par e-mail. Les interviews complètes sont disponibles sur mon blog.